Du chef-d'oeuvre de Frédéric
Raynal en 1992, de sa suite en 1994 et de son
troisième opus en 1995, la trilogie originale
d'Alone
in the Dark n'a cessé de lorgner
de plus en plus vers l'action et les échanges
de tir au détriment de son ambiance lovecraftienne
inquiétante. 2001. New York voit le symbole
de la liberté moderne et de sa puissance
commerciale s'effondrer. Jumelles des élites
et des puissants. C'est également la
sortie d'Alone in the Dark: The New Nightmare.
2008. New York est à nouveau le théâtre
de tragiques événements dans la
cinquième itération des aventures
d'Edward Carnby dans Alone in the Dark. Sans
numéro. Sans sous-titre. Sans âme.
Le
sublime Alone in the Dark de Frédéric Raynal fut un jeu précurseur
et l'inventeur d'un genre en soi: le survival horror. Le jeu d'Eden Games, malgré
ses innombrables défauts, adopte ce point commun d'initiateur avec la naissance
d'un genre nouveau. Un genre maintes fois esquissé durant l'ère
de la new gen, mais qui atteint un niveau tel avec ce titre qu'il peut joyeusement
prétendre en être le bondissant promoteur: Alone in the Dark 2008
est la simulation diptyque d'énervement et d'ennui moderne. Avec un moteur
physique spécialement développé pour l'occasion et pour rester
poli.
Je ne sais pas vraiment par quoi commencer. Dois-je rappeler les nombreux
retards que le jeu a subis avant sa sortie ? Dois-je m'effondrer en pensant à
ce que le jeu (son concept originel annoncé) aurait pu être? Dois-je
évoquer l'histoire ridicule, convenue et mal racontée ? Ecrite avec
deux pieds gauches et mise en scène avec les membres inférieurs
restants. Dois-je pleurer sur le pauvre détective Edward Carnby qui est
devenu communément amnésique? Dois-je me pendre en pensant à
la jouabilité archaïque, rigide et foirée qui fait que se déplacer
devient un véritable calvaire?
Non
content de polluer la plupart des chaînes de TV, de détruire ce qui
reste du cinéma américain (non indépendant), le concept de
la série vient de plus gangrener l'univers du jeu vidéo: Alone 2008
est ainsi découpé en huit épisodes, eux-mêmes segmentés
en plusieurs séquences. Avec un résumé des épisodes
précédents et un générique à la fin de ceux-ci.
Si l'idée paraît bienvenue et économiquement viable sur du
papier recyclé, il aurait été de bon aloi d'avoir un minimum
de consistance dans l'implication de l'arrêt volontaire et multiple de la
continuité narrative, dans la manière de traiter cette continuité
et surtout dans l'ajout des deux ingrédients essentiels qui font que le
concept sériel fonctionne: un cliffhanger fidélisateur et l'emploi
juste d'un intervalle temporel entre les épisodes. Il n'en est rien dans
Alone 2008. Vu que l'histoire, ses personnages et leurs actions n'ont pas réellement
d'intérêt, les développeurs ont eu un ultime souffle philanthropique
en intégrant un système de chapitrage (façon lecture de DVD)
qui permet au joueur de passer une séquence, un épisode entier,
ou même d'aller directement voir la fin du jeu.
Se
réveillant dans un hôtel en feu, amnésique et mal modélisé,
le "poor Edward" va devoir remettre de l'ordre dans les boyaux de sa
tête, résoudre le mystère de Central Park et finalement affronter
une ancienne entité maléfique et anxiogène. Tout un programme
pour un personnage plat et souffrant d'une animation rigide. En plus d'avoir perdu
sa mémoire, Edward a également égaré sa classe en
étant projeté dans un New York moderne: il parle comme un adolescent
agressif, jurant (fucking fuck) dans toutes les situations et devenant ainsi complétement
ridicule à chaque fois qu'il fait l'étendue de son vocabulaire limité.
Et même si l'on rit au bout d'un moment d'un personnage aussi bidimensionnel
(qui pourrait être sorti d'un film de Luc "multipass" Besson),
il faut avouer que son comportement énerve également, surtout que
l'effet comique n'est pas volontaire. Mais heureusement, l'aventure est assez
courte, on ne passera donc pas trop temps en compagnie de ce détective
déchu.
Dès la première
heure de l'aventure, on comprend les différentes phases de gameplay s'offrant
au joueur: résolutions d'énigmes, phases de plateforme, phases de
conduite scriptée lourdes, phases de conduites libres éprouvantes
car liées à un moteur physique fantaisiste, etc. Chacunes des différentes
parties de la jouabilité montrent l'ambition démesurée d'Eden
Games mais également le manque de maitrise dans son exécution. Chaque
bonne idée est contrecarrée par sa réalisation et son manque
de finition. Par exemple, il n'y a pas d'interface durant le jeu. La veste d'Edward
fait office d'inventaire. Une bonne idée, en théorie, pour ne pas
perturber le joueur et éviter de l'aliéner du monde dans lequel
on essaye de l'immerger. Malheureusement, on passe tellement de temps dans les
poches limitées du détective pour faire de l'ordre, assembler divers
ustensiles entre-eux et se battre avec le stick analogique pour choisir le bon
objet que l'immersion prend un sérieux coup. Il en va de même pour
le moteur Havok utilisé pour résoudre les énigmes (ouvrir
une porte en la forçant avec un objet lourd, brûler une chaise pour
tuer un ennemi, couper la main du vigile du musée pour l'utiliser sur le
scanner d'empreintes, etc.), amusant dans sa construction et les idées
qui en découlent. Mais la jouabilité trop rigide achève le
plaisir. On doit d'ailleurs constamment utiliser les deux caméras offertes
(troisième personne et vue subjective) pour s'orienter, se déplacer,
ne pas tomber, viser, etc. Fatiguant. Les phases de plate-forme s'en sortent un
peu mieux en oubliant les occasionnelles morts stupides dues à la caméra
et aux commandes approximatives. En revanche, les phases de conduites sont juste
frustrantes; celles scriptées sont intransigeantes et celles libres dans
Central Park sont ennuyeuses. Les deux sont outrageusement bugguées. Il
n'est pas rare de rester bloqué dans un élément du décor
ou de s'arrêter net sans aucune raison, etc. Venant des auteurs de l'excellent
Test Drive Unlimited,
c'est difficilement pardonnable. Le moteur gérant le feu n'est pas si mal,
les flammes se propagent de manière réaliste et donnent lieu à
des énigmes sympathiques. Mais malheureusement, on se contentera le plus
souvent d'utiliser cet élément pour définitivement tuer un
ennemi (le seul moyen de les achever), ce qui devient vite répétitif.
Et je n'ose même pas vous parler des affrontements avec les boss du jeu.
En ajoutant la jouabilité approximative, les déplacements rigides
et la visée imprécise, l'addition devient vite aussi salée
que les larmes des joueurs les plus impatients... Mais arrêtons-là
le massacre.
Concernant la réalisation
technique, elle oscille entre le très mauvais et le plutôt pas mal
si l'on n'est pas exigeant. Même si le moteur montre ses limites dans la
modélisation sommaire et trop géométrique des personnages,
il permet de forts beaux jeux de lumières. Les graphismes ne sont pas mauvais,
et il faut surtout remercier l'équipe artistique qui s'est bien débrouillée
pour rendre Central Park crédible. La taille du parc est d'ailleurs assez
conséquente. Dommage qu'il n'y ait rien de bien passionnant à y
faire en dehors des endroits prévus à cet effet. La plupart des
animations (celles d'Edward, celles des personnages secondaires et celles des
ennemis) sont trop rigides et rappellent le début de l'ère PS2.
Très en dessous par rapport aux standards actuels. Les
bruitages fonctionnent sans jamais provoquer plus qu'un sursaut, mais dans l'ensemble
le jeu n'a pas vocation à éveiller la peur. La musique d'Olivier
Deriviere est LE point fort du jeu. Les compositions sublimes et exotiques collent
parfaitement à ce New York ravagé par le Mal.
En
conclusion, Alone in the Dark 2008 est une énorme déception. Pourtant
le jeu partait sur de bonnes bases et de bonnes idées, mais leurs exécutions
et leur niveau de finition rappellent que le jeu aurait mérité une
sortie moins " précipitée ". Le titre d'Eden Games souffre
d'une jouabilité beaucoup trop rigide, bugguée et simplement peu
amusante. La partie technique accuse également d'énormes lacunes
rédhibitoires. Avec un scénario convenu et mal mis en scène,
des personnages bidimensionnels et un traitement narratif sériel qui n'apporte
absolument rien, le jeu n'a pas réellement d'arguments qui poussent le
joueur à vouloir continuer dans l'aventure. Et qu'y a-t-il de plus triste
qu'un joueur restant seul devant un écran éteint ?
LorHan - 16.08.2008