Librement basé sur une analyse canonique
des nouvelles théories du Dessein intelligent (que n'aurait pas renié
John Washington Butler), l'univers de Turok illustre avec une pointe suave d'amertume
le problème fondamental de l'enseignement de l'Evolution, en dépeignant
un monde qui rassemble êtres humains et dinosaures. L'interprétation
libérale (certainement contestable) des deux théories originelles
opposées (fixisme et transformisme) sert de postulat prétexte pour
perpétuer la tradition séculaire de l'élimination par l'Homme,
d'espèces vivantes, en voie de disparition, voire dans ce cas précis,
disparues.
Le jeu met en exergue Joseph
Turok, qui, à l'image de sa modélisation polygonesque, ressemble
à une fusion échouée entre un marine amérindien et
une brique de lait. Non content d'avoir un physique ingrat et un nom ridicule,
Joseph a en plus la fâcheuse habitude de s'accommoder d'un scénario
totalement naze. Paléontologue belliqueux de formation, Joseph a réorienté
sa carrière professionnelle par un stage d'épistémologie
pour finalement (après trois tentatives infructueuses et de nombreuses
visites chez la psychologue de la base) décrocher son brevet de soldat
de l'espace. Arc et couteau à la main, le voilà donc échoué
sur une xénoplanète inhospitalière à la recherche
de son vieux mentor, Roland Kane. Le scénario fera d'ailleurs référence
au passé commun de ces deux personnages à travers des flashbacks
tout le long de l'aventure. Mais avec une mise en scène digne d'un fan
de Uwe Boll sous diazépam.
Ce
qui frappe immédiatement lorsque le jeu se lance, c'est que l'Unreal Engine
a été mal utilisé. Tous les bugs connus de ce moteur (textures
lentes à l'affichage, pour ne citer que le plus célèbre)
sont présents dans le FPS de Propaganda Games. Pire, ils ont même
ajouté d'autres défauts techniques pour être sûr que
le jeu paraisse fini à la fiente de ptérodactyle: bloom abusé
(les personnages ont l'air d'être radioactifs), bugs divers d'affichage,
textures grossières et répétitives, modélisations
carrées des humains (les dinosaures s'en sortent beaucoup mieux), level
design souvent linéaire et peu inspiré, aliasing playstationdeuesque
(même en 1080p), etc. Le jeu est graphiquement très moyen, la première
heure est un calvaire: grottes sombres taillées à la serpe, complexes
militaires remplis de brouillard et décors extérieurs quelconques.
Cela s'arrange par la suite mais on sent que le jeu aurait grandement gagné
à être optimisé. Certains environnements méritent qu'on
s'y promène, mais il y a toujours un élément qui vient rappeler
la pauvreté de la finition du titre. Par exemple, la luxuriante végétation
est convaincante et les hautes herbes balayées au gré du vent ou
bougeant frénétiquement lorsqu'une bande de vicieux vélociraptors
vous y traque, renforce l'immersion et l'ambiance particulière de ces décors.
Mais les gigantesques arbres définitivement trop carrés la brisent
l'instant suivant. Dommage. L'animation est relativement fluide, mais n'est pas
optimale lorsqu'il s'agit d'être précis (surtout avec les vils et
vifs raptors). On est bien loin de COD4
et de ses 60 images par secondes et sa précision chirurgicale.
La
partie sonore est également pleinement mitigée. Tant et si bien
qu'elle n'est finalement qu'unilatéralement décevante: non peu fier
d'avoir une synchronisation labiale complètement à côté
de la plaque, les doublages en français sont ridicules et les "acteurs"
doublant les personnages font preuve d'un zèle acharné pour paraître
le plus risible et le moins dans le ton possible (avec une intonation monocorde
pour être sûr de ne pas réveiller le joueur). Pour leur défense,
il faut dire que les dialogues volent tellement bas qu'il aurait été
dommage d'élever le niveau... Les sons des armes sont égaux à
leur originalité, pantoisement quelconques. La musique s'en sort un peu
mieux, mais il serait temps de penser à remplacer cette sous-soupe symphonique
qui sévit depuis que Hans Zimmer est à la mode.
Après autant d'éloges tautologiques sur la partie technique, intéressons-nous
à la jouabilité.
Turok dispose de nombreuses armes pour éradiquer
ses ennemis. Le fameux arc fait des merveilles à longue portée et
s'avère silencieux pour peu qu'il soit utilisé intelligemment. A
l'instar de John Rambo, le couteau mis à disposition très tôt
dans l'aventure sera un compagnon fidèle pour trancher/découper/éviscérer
ses victimes fourbement. Le jeu prend d'ailleurs exemple sur Gears
of War et sa tronçonneuse en lançant une animation (la
vue passe à la troisième personne) jouissive montrant toute la brutalité
du héros iroquois. Le problème est qu'il faut être au bon
endroit par rapport à sa cible (ce qui ne pose pas trop de soucis avec
des ennemis immobiles ou non alertés) et que cela demande une trop grande
précision dans le feu de l'action et on se retrouve trop souvent à
être débordé, puis finalement à donner des coups dans
le vide et inévitablement par se faire bouffer ou par se faire trouer la
peau. On en revient donc à la méthode bourrine en utilisant les
armes de tir. Un peu décevant. Certes, on s'amuse quand même (et
c'est bien là le principal), car l'ambiance chasseur traqué, traqueur
chassé fonctionne plutôt bien. Les dinosaures y sont pour beaucoup,
très vifs et ne laissant aucun répit en vous pourchassant inlassablement.
Le jeu fait d'ailleurs usage de séquences de QTE quand un dino essaie de
vous choper à la carotide et qu'il faut se débattre pour ne pas
finir en repas. Amusantes au début, ces séquences deviennent lassantes
par la suite et accentuent le côté répétitif de l'action.
Et il y a les rencontres avec les plus grosses espèces, Tyranosaure en
tête, qui font rapidement monter le taux d'adrénaline.
Même
si l'on n'échappe pas à l'habituel arsenal qui se compose d'un pistolet,
d'une mitrailleuse, d'un fusil à pompe, il faut signaler un second mode
de tir qui peut être salvateur, voire même judicieusement utilisé
par le gameplay. Je pense notamment au fusil à pompe qui est muni de fusées
éclairantes permettant d'attirer les dinos vers les ennemis et de laisser
tout ce joyeux monde se foutre sur la gueule, pour lâchement finir ceux
qui restent à l'arc, ou mieux, en balançant une grenade au milieu
de la meute pour la voir s'éparpiller en morceaux de barbaque informes.
Là où le bas blesse, c'est dans le design intrinsèque de
la jouabilité par le réglage foiré de la difficulté.
Cette dernière ne vient pas de l'IA, car en règle générale,
les ennemis ont l'idée saugrenue d'être très cons (même
si leurs sombres clinquants géniteurs leur ont appris à se cacher,
il aurait également fallu leur dire de le faire derrière un abri,
et pas devant...), mais plutôt du surnombre d'adversaires venant par d'inlassables
grappes. Le jeu n'est pas dur en soi pour celui qui a l'habitude des FPS, mais
il y a des passages très mal pensés et desservis par des sauvegardes
automatiques trop éloignées. On est loin de l'arrachage de cheveux
compulsif de COD4
dans le niveau de difficulté vétéran, mais cela n'aide définitivement
ni la fluidité de la progression ni le le plaisir de jeu. De plus cela
n'apporte aucune satisfaction particulière lorsque l'on finit par passer
- en vociférant à haute et inintelligible voix, des menaces scabreuses
envers ces sadiques développeurs - aux checkpoints suivants. Et comme on
peut le lire dans les correspondances datant de juillet 1753 de Jean-Jacques Rousseau
à l'abbé Raynal sur l'usage dangereux des ustensiles de cuivre;
"cela a le mérite d'augmenter artificiellement la durée de vie du
jeu"; surtout que la campagne solo peut agréablement se décompter
sur quatre mains de Django Reinhardt. Le mode multijoueur a pour son honneur d'exister,
même s'il n'est pas des plus palpitants surtout que vous êtes probablement
et passablement déjà bien occupés sur celui de COD4 (non,
je n'ai pas d'action d'Activision), d'Halo
3, ou pour les plus conservateurs d'entre-vous, celui de Gears
of War.
In fine et même
si l'on est loin de la déception cruellement complète de l'opus
antérieur sorti sur la génération de consoles précédente,
Turok n'est pas le chasseur ultime que l'on se devait d'attendre sur cette génération
de consoles. Le jeu aurait mérité d'être mieux balancé,
mieux optimisé, bref, mieux fini. On s'amuse un temps, les dinosaures étant
très certainement un facteur primordial dans ce sens, mais il est d'autant
plus décevant et d'autant plus frustrant de pester contre cette difficulté
mal dosée, ces bugs incessants et ce côté technique bancal.
Turok n'est qu'un jeu moyen et trop peu varié, qui, selon la sélection
naturelle, aura du mal à s'adapter et à survivre dans son milieu,
la redoutable chaîne alimentaire de meilleurs FPS déjà parus
ou à paraître.
LorHan -
14.02.2008